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Dominique Blanc - PETITES ECOLES - ANCIEN REGIME - LANGUEDOC 
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LES SAISONNIERS DE L'ECRITURE
Régents des petites écoles en Languedoc
au XVIIIe siècle


par Dominique BLANC

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
LISST - Centre d'Anthropologie Sociale - Toulouse


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Cet article est paru dans la revue Annales E.S.C., 1988, n°4, pp. 867-895.
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ABSTRACT - This study of the emergence and multiplication of small schools at the end of the Ancient Regime permits us to define one of the historical figures of academic institutions. Created through contracts drawn up between schoolmasters and communities schools established model of teaching which is well known today. The research presented in this article highlights the multifarious competences required of the person called upon to work as schoolmaster. Far from responding to the necessities of literacy alone his duties came to include various uses of writing which became indispensable because of the evolution of 18th century communities relations -with their environ ment. Thus the figure of schoolmaster-clerk takes center stage in this analysis which tries to isolate his many faces. Surveyor, clothes tailor or master surgeon he already held an intermediate position in society. Thanks to him schools did not have to conquer virgin territory they were inserted into already constituted sets of relationships.

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"L'école paroissiale, au 18e siècle, est l'une des manifestations les plus vivantes des communautés d'habitants". Ainsi débutait dans les Annales ESC, il y a quinze ans déjà, un article pionnier sur « Les petites écoles en Languedoc au 18e siècle" [1]. Tranchant avec les innombrables monographies suscitées par la querelle scolaire des premières années de la Troisième République et rompant pour le Languedoc un silence brisé depuis peu ailleurs, son auteur participait à l'éclosion d'une série de travaux dont la bibliographie ne cesse de s'enrichir. L'utilisation simultanée de documents fiscaux, de visites pastorales, de correspondances et de délibérations lui a permis de dresser une carte de l'implantation scolaire et d'en analyser les conditions de manière suggestive pour l'ensemble de la province. Est ainsi soulignée l'importance du lien entre l'école et l'orthodoxie dans le Languedoc protestant où les écoles sont les plus nombreuses. Mais la demande d'école va bien au-delà des seules exigences de la Contre-réforme. Sa présence semble témoigner partout d'un même "humanisme" villageois.

Ce n'est pas une seule élite qui ressent la nécessité de former les générations nouvelles et qui conçoit que l'acquisition d'une habileté manuelle ne suffit pas. C'est jusqu'aux campagnes que se répand le sentiment de la dignité et de la libération par le savoir, malgré la crainte fréquente de voir se réduire le nombre des manouvriers [2]. Ne faut-il pas voir là une illustration de ce que François Furet et Jacques Ozouf appelleront un peu plus tard la "descente" dans la société rurale d'un modèle urbain hérité des fondations pieuses et son intériorisation par les communautés de paroisse?[3] Si la triade Église-État-communautés est faite d'éléments complémentaires, on se doit de mettre l'accent sur le troisième terme si l'on veut saisir au plus près ce qui se met en place au dernier siècle de l'Ancien Régime. Mireille Laget a proposé de sonder cette "volonté commune des habitants" qui fait naître l'école. Les pages qui suivent voudraient contribuer à nous éclairer sur un point particulier qui pourrait s'avérer essentiel.

Quelle que soit en effet la diversité des situations d'enseignement de cette "école en miettes" qui comprend "une mosaïque d'institutions et de pratiques superposées, rivales, complémentaires" [4], il reste que l'école contractuelle, celle qui engage une communauté et un régent pour la durée d'une année d'enseignement, présente l'image d'un pouvoir municipal mettant en œuvre le savoir d'un homme, aussi modeste soit-il, au service d'un apprentissage et d'un usage de l'écriture dans la langue de l'administration partagée par une faible minorité dans les villages. Suffit-il alors de décrire la "sous-cléricature des magisters de campagne"? [5] Une incursion dans l'ouest languedocien nous permettra de présenter du régent une image plus complexe et, à travers les péripéties de son recrutement, une autre dimension de l'enjeu représenté par la présence d'une petite école au sein de la communauté.

Régences et régents en pays d'écoles

Les diocèses concernés appartiennent aux pays qui formeront l'actuel département de l'Aude (figures 1 et 2). Ils partagent avec l'ensemble de la province un même schéma d'implantation scolaire tout en échappant à la variable religieuse, le protestantisme en étant totalement absent. Les écoles y forment un réseau serré le long de l'axe routier principal entre Narbonne et Castelnaudary. Elles s'étendent dans les plaines vers Limoux, en Lauragais et jusqu'aux confins du Bas-Razès. En revanche, les hauteurs orientales des Pyrénées audoises, les monts des Corbières et les collines du Razès apparaissent en blanc sur la carte. Communautés peu peuplées, habitat relativement dispersé, étroitesse des terres labourables et rigueurs du climat vont de pair avec un relief accidenté qui défie l'établissement de voies de communication permettant une ouverture de ces régions vers l'extérieur. Nul mystère, donc, dans l'inégale répartition des impositions scolaires : la pauvreté ou la relative aisance des communautés jouent un rôle déterminant. Pour vérifier une corrélation presque parfaite il suffit de comparer la carte des dépenses ordinaires des communautés à celle des sommes allouées aux écoles de garçons (figure 3).

Dans le diocèse de Narbonne, l'école est une institution ancienne dans les plus gros villages. A l'exception des Corbières, montagnes pauvres, elle s'implante rapidement dans les communautés moins importantes, après 1720. Grâce à la copie de la liste des régents en poste dans une soixantaine de paroisses, laissée par un archiviste méticuleux, nous connaissons le nom des maîtres successifs et la durée de leurs fonctions entre 1729 et la Révolution. Précieuses indications qui rendent possible l'approche statistique d'une situation scolaire [6].

Si l'on désigne ainsi chaque période pendant laquelle un même régent a exercé l'enseignement élémentaire dans une même communauté, la régence devient l'objet d'observation privilégié, ou plutôt la succession des régences telle qu'elle peut être reconstituée.

Il apparaît tout d'abord que les périodes courtes, moins de cinq années, et même très courtes, une année seulement, dominent, quelles que soient les communautés considérées. Certes les plus riches, qui sont aussi les plus peuplées, se distinguent des moins favorisées. Elles sont les seules ou presque à accueillir des maîtres pour des périodes de très longue durée, plusieurs dizaines d'années dans certains cas. Mais cette stabilité, si elle ne concerne pas les plus pauvres, n'est pas induite absolument par une relative richesse comme le montre l'alternance des régences dans douze communautés du diocèse (figure 4). Des trois plus riches, Bize est la seule à présenter une grande stabilité scolaire, alors qu'Ouveillan et Ginestas connaissent un renouvellement rapide de leur personnel. Argelliers et Saint-Nazaire, villages moyens, offrent eux aussi un contraste saisissant.

Bien que nous soyons en pays "scolarisé", de courtes interruptions restent assez fréquentes, comme pour nous rappeler que l'institution est bien ancrée mais fragile et ne résiste que difficilement à un événement imprévu ou dramatique, tel que la perte de la récolte ou un conflit violent. Récupérer pour une année ou deux l'imposition normalement destinée à financer l'école est une tentation à laquelle il est difficile de résister en période de crise. L'enseignement ne disparaît pas dans tous les cas : le presbytère ou une école voisine peuvent offrir une solution provisoire. L'autre fait remarquable est le retour périodique d'un même régent dans des communautés où il semble avoir ses habitudes :

"Quelques communes, en petit nombre, gardaient longtemps leur régent. Mais le plus grand nombre changeaient très souvent de maître d'école. Quelquefois une commune employait jusqu'à trois ou quatre régents en une année ; dans ces circonstances, le curé se chargeait de la régence jusqu'à la prochaine fête de là Saint-Jean. Faut-il pour cela tirer cette conséquence que le personnel des régents était très nombreux ? Nous ne le pensons pas. Les mille titulaires qui ont rempli les postes de régent dans les diverses communes du diocèse pendant le XVe siècle se réduisent à moins de cinq cents, si on considère que la même personne dans sa vie souvent longue de maître d'école a rempli ses fonctions dans plusieurs communes. En parcourant cette longue liste de régents, on verra souvent figurer les mêmes noms semblables au Juif errant de la légende (ils) vont de village en village porter à de nouveaux écoliers les éléments de leur science pédagogique. Pendant trois quarts de siècle, environ quarante régents ont occupé 261 postes, plus du quart du total général" [7]
.
L'observation est juste, bien que les chiffres soient approximatifs. Quant à l'assimilation du régent au Juif errant allant de village en village, c'est un lieu commun dans l'histoire de l'école telle qu'on l'écrivait à la fin du 19e siècle. Il néglige deux faits majeurs dans notre exemple : le grand nombre de régents occasionnels qui exercent quelque temps puis disparaissent à jamais et l'incertitude quant au profil de ces "errants" que l'on crédite ou débite sans preuve d'une "science pédagogique".

La logique d'une approche statistique doit toutefois être poussée jusqu'à son terme. Si la "spécialisation" est retenue comme principe pertinent de classification des personnels observés, nos sources nous permettent de la déterminer suivant deux critères. Le premier est lié à la durée de la régence, en admettant que plus elle est longue, plus celui qui l'exerce se spécialise. Le second critère est constitué par le nombre de communautés visitées, en admettant que la mobilité qualifie aussi le spécialiste. La patiente reconstitution des carrières de cinq cent trente-sept individus ayant exercé dans soixante-neuf communautés différentes entre 1729 et 1789 nous autorise à tenter un classement significatif [8].

Dans les rangs des "spécialistes" prennent place des régents stables ayant exercé pendant plus de cinq années en un même lieu. Les régents très mobiles les y rejoignent selon nos critères ; ils ont exercé dans au moins trois villages différents. Des régents mobiles alliant durée et mobilité sont aussi qualifiés ; ils ont exercé pendant plus de cinq années, en deux ou trois fois, en un même lieu ou en des lieux différents.

Les "occasionnels" sont définis par l'absence de ces conditions, qu'ils soient des maîtres provisoires, disparaissant des archives après quelques mois, au bout de deux années tout au plus, ou bien des régents temporaires, ayant exercé pendant cinq années au maximum en un ou deux lieux. Le tableau ainsi obtenu bouscule l'image traditionnelle du maître d'école itinérant.

Toutes catégories confondues, les régents "spécialisés" représentent à peine un peu plus du quart des individus, les "errants" correspondant à quinze régents sur cent seulement. Prenons garde toutefois à l'illusion statistique : si les spécialistes ne représentent que le quart des effectifs, ils ont exercé pendant les trois quarts des années scolaires. Un enfant du Narbonnais avait donc, théoriquement, sept chances sur dix d'apprendre à lire et à écrire sous la férule d'un maître d'école "professionnel" même s'il avait aussi de fortes chances d'en connaître plusieurs, et parmi eux, nombre d'occasionnels.

Les spécialistes, par définition, sont les seuls à accomplir de longues carrières, les régents très mobiles s'attribuant la majorité d'entre elles (59 % de l'ensemble des 41 carrières de 2 à 20 ans et des 29 carrières de plus de 20 ans, contre 18 % pour les régents mobiles et 23 % pour les régents stables). Mais ils prennent aussi leur part des périodes très brèves qui ne sont nullement réservées aux régents provisoires : sur 438 régences de 1 an ou moins, 42 % sont exercées par des régents provisoires, 14 % par des régents temporaires, 5 % par des régents mobiles et 39 % par des régents très mobiles. Le recrutement provisoire ou de courte durée fait donc partie intégrante de ce système scolaire, tout comme la rotation des régents et l'alternance des "spécialistes" et des "occasionnels".

Ce rapide coup d'œil extérieur ne peut plus suffire pour saisir un fonctionnement que seule une incursion dans la vie communautaire permettra de comprendre [9]

Une saison d'école

Avec ses soixante feux et ses trois cents livres de dépenses ordinaires, Ferrals est l'une de ces communautés finançant une école pour la première fois au 15e siècle. Le 29 mars 1716, les consuls proposent :

"qu'il seroit nécessaire d'avoir un régent pour l'éducation des enfans et que pour cela il faut faire présenter une requête à Mgr l'Intendant pour le supplier de per¬mettre l'imposition de la somme de cinquante livres tous les ans pour la subsis¬tance et entretient du régent."

L'autorisation est rapidement accordée et le 5 juillet de la même année,

"ledit sieur Carol est reçu pour régir les écoles du dudit lieu et attendu que ledit sieur Carol ne peut pas subsister jusques à la St Jean-Baptiste prochaine avec lesdits 50 livres qui sont dispozées en faveur dudit régent est délibéré que ceux qui auront des garçons et qui les envoyèrent à l'escolle gajeront audit Carol la somme de 50 livres entre eux à départir également lesquelles 50 livres avec les 50 livres imposées seront gajées audit sieur Carol en qualité de régent ; outre et par dessus les 100 livres la communauté sera tenue de fournir audit sieur Carol une maison pour pouvoir loger et recevoir les garçons qui iront à lescolle."

Cas de figure très répandu dans le diocèse : une modeste imposition com¬munautaire est compensée par la répartition d'un complément entre les parents et la fourniture d'un logement. La contribution des familles peut être égale, proportionnelle au nombre d'enfants ou établie suivant le niveau d'enseignement. Ce dernier cas est le plus fréquent dans les archives. Mais en réalité le paiement se fait en nature : blé, vin, repas pris chez l'habitant à tour de rôle, ce mode de rétribution étant aussi discriminant socialement que les taux progressifs de l'écolage. Le "sieur Carol" court peu de risques en acceptant ces modestes conditions : il habite le bourg voisin où il est propriétaire.

La prudence n'était pas inutile. L'imposition est bien renouvelée le 2 mai 1717, mais, dès le 7 juin, après avoir supprimé les 100 livres de rétribution du garde-terre, malade,

"on proposé lesdits consuls que on trouveroit à propos cette année de supprimer les 50 livres qu'on a permission d'impozer en faveur du régent des petites escolles et sur ladite proposition a été délibéré qu'on n'impozera point."

Ce que voyant, le sieur Carol se retire. Il refera une brève apparition en 1719 pour abandonner ensuite une fonction aussi aléatoire.

A peine nées, les "petites escolles" s'interrompent. Le débat sur l'opportunité de leur maintien est toujours vif quand il oppose, en divers lieux, forains et parents riches ou sans enfants à ceux pour qui l'école au village est le seul moyen d'instruire leurs enfants. Quelles que soient les stratégies qu'elles masquent, et qu'il faudra mettre à jour, les déclarations solennelles faites à l'occasion de tels débats fournissent l'opportunité d'entendre le discours "municipal" en faveur de l'école tel qu'il est livré à des archives que peuvent consulter l'évêque ou l'intendant. A Canet, village proche de Ferrals, l'initiative antiscolaire du "maire", en 1737, provoque la colère du premier consul :

"L'assemblée n'ignore pas l'extrême besoin que la Communauté a d'avoir un Régeant des Escolles pour instruire et élever la jeunesse dudit lieu quy est très mal morigénée et lui apprendre tant les lettres que les principes de la religion, qu'à l'occasion de cette nécessité la Communauté naît dû demander permission et obtenu (imposition de 100 livres que) le prétendu maire, sans prévenir auroit supprimée au grand préjudice de ladite jeunesse et mécontentement de toute la communauté et a fait faire le rôle desd. impositions à son gré en abusant de l'ignorance et incapacité de Guilhaume Boucard et Paul Habram second et troi¬sième consuls, il auroit surpris de leurs facillités de marquer ne sachant pas Escrire. N'étant que trop constant que la Jeunesse du présan lieu et toute à fait dépravée, et qu'elle a un extrême besoin d'être corrigée et élevée, que c'est une nécessité absolue, très utile au public, au moyen d'avoir alavenir des témoins pour pouvoir signer soit les testaments que autres actes publics, sans quoy on auroit beaucoup de la peine, comme on la déjà, d'avoir personnes litairées quy puissent signer lesdits actes non plus qu'a faire la levée de la taille et deniers du Roy, ce quy estant des inconvénients essanciels et préjudiciables tant au public qu'au particuler et même aux intérêts du Roy."

Habile et pathétique profession de foi ! Habile car elle multiplie les appels discrets aux autorités, pathétique car c'est bien l'alliance d'un lettré et des élus illettrés qui a rendu possible la suppression de l'imposition scolaire. Elle associe intelligemment la manœuvre pour la suppression de l'école et la manipulation du livre de la taille pour insister enfin sur le vaste domaine, public et privé, où trouve à s'exercer la maîtrise de l'écriture. Tout cela, et non seulement la "rudiction de la Jeunesse", est en jeu dans le débat sur le maintien de l'école au village.

C'est d'ailleurs un greffier, Jacques Lacaze, que Ferrals, lui aussi momentanément privé de maître d'école, emploie comme régent épisodique jusqu'en 1735. Homme du lieu, il est remplacé à l'occasion par un régent ou "lettré" de passage. En 1724, les parents fourniront "72 livres et la Dépance outre la rétribution" au maître "atendu la présence du sieur Pierre Goût de la ville de Carcassonne". Le village profite aussi de la proximité de Fabrezan, localité plus importante qui attire des régents spécialisés. Il partage Jean Graulou, qui en revient, avec la communauté voisine de Fontcouverte en 1735. Son succes¬seur choisit Ferrals en attendant la place de Fabrezan. Des hommes du lieu, le greffier Lacaze et un propriétaire, assurent l'intérim après le départ des "passants". Malgré cette rotation, l'école est bien implantée dans les années 1740. Il arrive même que les parents se chargent du recrutement d'un spécialiste qu'ils imposent aux consuls :

"Comme les habitants ont déjà convenu avec le sieur Just Delrieu pour la Régence des Escolles pour l'année courante 1745, c'est pourquoi ladite assem¬blée d'une unique voix ont approuvé."

L'ancienneté de l'institution n'engendre pas la stabilité : en l'espace de huit années, huit régents se succèdent après 1760. Jusqu'à la Révolution personne ne s'installera vraiment dans les petites écoles de Ferrals. Elles ont vu passer dix-huit régents en un demi-siècle (1735-1785). Leurs carrières individuelles reconstituées nous révèlent que onze d'entre eux étaient ce que nous avons appelé des régents "spécialisés", et sept autres des "occasionnels". Mais la personnalité de ces derniers rend plus complexe cette distinction. Un premier groupe est certes constitué par des hommes du lieu ou d'un village voisin recrutés provisoirement et retournés à l'oubli au bout de quelques mois. Mais un deuxième groupe d'occasionnels apparaît plus étroitement lié à un ensemble de compétences qu'ils utilisent, eux aussi provisoirement, dans le cadre d'un enseignement élémentaire. A Ferrals nous apprenons seulement que ce sont des citadins de passage, originaires d'Auterive (1761), de Limoux (1762) ou de Toulouse (1765). Une incursion à Canet permet de préciser qu'il s'agit bien souvent d'étudiants ou de futurs ecclésiastiques que signale leur titre d'"abbé". Ces clercs de passage, ces fils de marchands en rupture d'école trouvent à employer au village une formation toute nouvelle encore qui a l'avantage, ainsi reconnue, de leur assurer pour un temps une maigre subsistance. Les occasionnels sont donc de deux espèces opposées ; ce que la seule définition par la durée nous empêchait de voir : d'un côté les possesseurs d'un savoir minimal qu'ils sont invités à transmettre sur place, de l'autre les bénéficiaires d'une formation "supérieure" qui s'attardent quelque temps à enseigner les rudiments. Qui sont alors les régents spécialisés ?

Au premier abord, rien ne les distingue, hormis la durée et la mobilité, des occasionnels du premier type. Hors les bourgs, leur qualité durable de régent ne saurait faire oublier qu'il s'agit d'artisans, de bourgeois et de petits propriétaires. Le fait, allant de soi, n'est jamais signalé dans les documents financiers qui ont servi de base à l'approche quantitative. Mais tout document "qualitatif", délibération, pétition, correspondance, le mentionne. Contrairement à la formule habituelle, il ne s'agit pas d'un "second métier" qui permettrait au pauvre régent de survivre. La qualité de régent vient en sus de son exercice habituel. Le dénombrement exact de ces "premiers métiers" est impossible. Mais le nombre respectable de mentions recueillies permet d'affirmer que, hormis les "bourgeois" — tous ceux à qui l'administration d'un bien laisse quelques loisirs — on y trouve en majorité des tailleurs d'habits, des arpenteurs et des maîtres chirurgiens. Ils sont "faits régents" sur la demande de la communauté. Ce sont là de véritables saisonniers de l'enseignement élémentaire. Non pas au sens exclusif que prend cette expression appliquée aux maîtres d'école du Briançonnais trop souvent cités : eux quittent effectivement montagne et métier pour aller exercer dans la plaine provençale. Nos hommes exercent d'une Saint-Jean à l'autre, mais dans un espace proche et restreint, tout en continuant à vivre aussi de leur profession "antérieure". La régence apparaît donc, du point de vue des communautés, comme une "saison" d'enseignement pour laquelle doit être recruté l'individu le mieux adapté aux fonctions qui seront exigées de lui. La nature de ces fonctions détermine le choix.

La figure du régent-greffier

II est demandé aux candidats à la régence de savoir eux-mêmes lire et écrire, cela va de soi. Nombre d'artisans répondent à cette exigence minimale et peuvent occasionnellement faire l'affaire. Mais la figure du régent ne saurait être définie par ses incarnations les moins prestigieuses souvent acceptées comme un pis-aller. Un village du Lauragais, Labécède, nous permet d'observer la concurrence entre deux "spécialistes" plus qualifiés [10]. Elle oppose depuis 1730 deux bourgeois du lieu, Jean-Jacques Borrel et Pierre Senègre. La communauté doit faire appel à l'évêque à plusieurs reprises pour départager deux candidats qui lui paraissent identiques. Borrel sait "lire, écrire et même le latin s'il est besoin" ; Senègre "peut montrer à la jeunesse à lire, écrire, l'arithmétique et autres instructions chrétiennes". Ils sont tous les deux conseillers politiques et leurs épouses peuvent éventuellement "montrer aux filles", "lesquelles Monsieur le Curé baillera les livres". Les deux bourgeois n'enseignent qu'à quel¬ques enfants. L'école est ici élitaire : Labécède a le taux d'alphabétisation le plus bas du Lauragais. Chacun des protagonistes a ses partisans dans le village mais aussi dans les communautés voisines où exerce le malchanceux. L'heureux élu est aussi greffier. A ce jeu Senègre est gagnant au bout de vingt ans d'alternance. Il lui reste trente années de régence et de greffe dont le bénéfice apparaît à sa mort. Il est remplacé par son propre fils qui sera, pendant la période révolutionnaire, régent, "fonctionnaire public et notable", secrétaire de la justice de paix un peu plus tard. Ce destin particulier permet de s'interroger, non tant sur une éventuelle "promotion sociale" due à la régence, Senègre était déjà un petit notable, mais sur l'ensemble des activités liées à son exercice.

Les régents ont l'obligation, le plus souvent, de se charger aussi du greffe de la communauté, tâche qui peut être importante et fort diverse. En y prêtant attention, on découvre que les régents aux carrières les plus longues, aux postes nombreux, ont été aussi sollicités pour des compétences qu'une simple "histoire de l'école" risque de laisser dans l'ombre. Suivons Esprit Surbézy que les archives désignent toujours par sa qualité de régent en divers lieux du diocèse de Narbonne. A la faveur d'une plainte adressée aux consuls de Tourouzelle, nous apprenons qu'il est avant tout arpenteur. Il conteste la faible rémunération, non de son enseignement, mais de ses travaux d'arpentage et de réfection du compoix. Par la même occasion son extrême mobilité, ainsi que celle de ses semblables, se trouve expliquée par le fait que les "commandes" d'arpentage lui viennent de manière imprévisible de communautés où il doit se rendre rapidement. Il donne sa démission de son poste de régent à des consuls qui ne peuvent que constater son forfait. Ce spécialiste de la mesure et de l'écriture tente alors de se faire engager dans sa résidence provisoire ou tout au moins dans un village proche.

Régent, greffier et arpenteur-géomètre, telles sont les qualités de Surbézy, de la famille Surbézy devrait-on dire puisque ses deux fils Esprit et Jean poursuivent une carrière identique. Ils sont appréciés pour l'ensemble de ces compétences qui les qualifient d'autant plus pour exercer la régence. A un concurrent occasionnel qui veut tirer argument de l'âge et de la multiplicité des tâches rémunérées d'Esprit Surbézy père, pour obtenir sa place, les consuls de Canet répondent fermement :

"C'est un fait parfaitement indifférend dès qu'il est encore plein de vigueur, en état de se faire obéir par les enfans, que son écriture est faite d'une main bien sûre, qu'il peind bien, qu'il a fait de très bons élèves et qu'enfin il est désiré par la plus grande partie de la communauté".

Le concurrent propose alors de renoncer à la rétribution, pensant avancer ainsi un atout imparable. Il ne réussit qu'à provoquer l'indignation des consuls, soucieux de l'instruction des enfants et de la bonne tenue du greffe :

"II paroit fort extraordinaire que quelqu'un veuille exercer deux emplois pour presque rien. Ce sont des emplois de confiance pour lesquels ce n'est pas le meilleur marché qui doit déterminer mais bien les qualités personnelles de celui qui est choisi (d'ailleurs se sont des) sommes qui réparties sur le général devien¬nent trop insensibles pour le particulier pour entrer en considération dans un choix aussi important qu'essentiel."

La figure du régent-greffier, spécialiste de l'écriture, apte à manipuler l'écrit et à transmettre un savoir élémentaire, est la figure idéale du maître d'école qui prend alors une tout autre dimension. Elle est difficile à réaliser et l'incarner suppose que l'on respecte habilement un équilibre précaire entre les multiples fonctions qui la composent. L'exemple malheureux d'un régent renvoyé du gros village de Fleury en 1774 en est l'illustration parfaite.

"Chargé des greffes consulaires du présent lieu, de ceux d'Armissan et de Vinassan, encore par intervalles de celuy de la justice dudit lieu, il employoit la plus grande partie du tems de la classe à extraire des actes ou à des bagatelles, partie de la semaine à voyager dans lesdits lieux. Il se chargea encore de faire le livre de la taille du lieu de Sales, il remit celuy du présent lieu à fin juillet devant l'être au commencement de juin."

Accablé par l'importance et le nombre des tâches qu'il ne peut maîtriser, Rous conduit à l'échec une tentative d'implantation trop ambitieuse. Elle éclaire d'un nouveau jour les pérégrinations des spécialistes et leurs allers et retours dans une même zone. Rous voulait faire de Fleury son point d'attache central, et du réseau de communautés voisines un champ d'action où utiliser ses compétences. Il est à noter, toutefois, que l'exercice des divers greffes ne lui est jamais reproché. On lui demande simplement de respecter l'équilibre entre ces activités et l'instruction des enfants "ainsy qu'il promit" mais "il s'en occupa encore moins". Coupable de "mauvaisetés" dans les comptes à cause de sa précipitation et de négligences envers ses écoliers, il est fort logiquement remplacé au greffe de Fleury par un sieur Torte qui devient régent à son départ. Le problème scolaire précipite la rupture mais c'est le conflit concernant le greffe qui l'a rendue inévitable. Rous accuse en effet le premier consul d'avoir cons¬titué "un party contre luy" au sujet de la propriété et de la garde des archives communales. Le conseil, prudent, prive le lecteur de détails sur tout ce qui touche au contrôle de l'écrit public. Le premier consul nie jusqu'à l'existence d'une affaire et assure avoir agi contre Rous uniquement pour le bien de l'éducation dans la communauté. Souvenons-nous cependant du "maire" de Canet abusant les consuls illettrés en 1737 avec l'aide du greffier. De même à Tourouzelle en 1787:

"Le sieur Garric (régent-greffier) répondit devant les personnes qui composoient ladite assemblée que le sieur Gaussât, premier consul, lui avoit défendu de bailler le thome de délibération, ny d'écrire luy-même aucune délibération dictée par le second consul."

Il sera renvoyé mais reviendra quelques années plus tard. Ce sont là quelques-uns des nombreux cas où des régents greffiers sont contraints d'inscrire des textes, empêchés d'en noter d'autres quand ils ne prennent pas l'initiative de les rédiger eux-mêmes ou bien, à l'inverse, de "jeter la plume" à la tête des conseillers. La plupart des affaires concernant des régents mêlent inextricablement l'écriture publique et le soin des écoliers. L'accusation d'incapacité adressée à un régent renvoyé ou simplement contesté s'applique toujours en quelque façon aussi bien à la pratique d'une écriture publique qu'à l'enseignement élémentaire, associant ainsi nécessairement la régence et le greffe. Cette situation n'est-elle pas spécifique d'une zone scolarisée ? La nature et l'ancienneté de ce lien privilégié apparaîtront à l'examen d'un contexte moins favorable à l'école.

Une politique de l'écrit

Le diocèse civil de Limoux est à l'opposé, géographique et culturel, de celui de Narbonne. Pays de collines à l'habitat relativement dispersé, aux terres plus ingrates, il incarne un archaïsme contrastant avec l'évolution rapide des pays "ouverts" au 18e siècle. Parmi les soixante-cinq communautés dont nous avons pu dépouiller les comptes concernant la période située entre 1730 et la Révolution, seize seulement ont eu un régent avant 1780 n. Ces maîtres peu nombreux sont, soit insaisissables lorsqu'ils apparaissent pour une courte période seulement, soit omniprésents. Car les villages scolarisés gardent longtemps un même régent. Trois d'entre eux en emploient deux chacun en l'espace d'un demi-siècle. Les autres se contentent de quatre ou cinq individus. Le personnel des régents atteint les soixante-dix maîtres identifiés, y compris la cinquantaine d'occasionnels ayant exercé une régence courte en un seul endroit. Parmi la vingtaine de spécialistes restants, huit seulement ont exercé dans plusieurs communautés, les douze autres ayant réservé leurs soins à un même village pendant une période le plus souvent très longue.

Cette situation présente l'intérêt de ramener le greffe au premier plan. Historiquement tout d'abord, les régents ayant été choisis parmi les greffiers. Ainsi à Cambieure, vers 1715, Bernard Maurel fait "la façon du livre de la taille", Marc Lebraud assure diverses tâches d'écriture tout en secondant un sieur Daydé dans l'audition des comptes de la communauté. Quand celle-ci sollicite et obtient le droit d'imposer cent livres en faveur d'un régent, en 1721, nous retrouvons sur la liste des premiers maîtres : Lebraud en 1723, Daydé en 1725, Maurel en 1726. Ce dernier aura, pour longtemps, la préférence sur place. Daydé régira la communauté voisine de Cailhau. Mais nos trois greffiers exercent l'écriture publique dans les villages sans école de la région où ils sont nommés collecteurs, auditeurs, greffiers, députés pour une affaire urgente, etc.

Une quinzaine d'individus se partagent ainsi le greffe des communautés du diocèse, qu'ils exercent ou non une régence. Ici plus qu'ailleurs, ils appartiennent aux rares maisons qui fournissent des lettrés à un pays d'analphabètes. Ce privilège peut atteindre au monopole. Ainsi à Alaigne : une maison Cazes et une maison Barrau se partagent l'exercice de l'écriture publique mais aussi de la régence dans la communauté et dans les villages voisins. Parallèlement, Cazes et Barrau alternent au consulat, s'attribuant ainsi le pouvoir politique à Alaigne pendant près d'un demi-siècle. Il en est de même à Pieusse avec la maison Garrigue [12].

Dans les communautés plus petites, il arrive fréquemment que les consuls eux-mêmes ne sachent pas signer, pas plus d'ailleurs que les collecteurs. Or, l'administration provinciale ne tolère plus, dans les années 1740, un laxisme devenu presque coutumier. Les consuls se maintiennent indéfiniment sans nouvelles élections, les reliquats des comptes ne sont jamais réglés, les archives consistent en notes hâtivement rédigées et vite envolées. L'intendant ordonne donc de

"procéder à la nomination de nouveaux consuls avec deffence de continuer les anciens ni de prendre les Délibérations en cède volante (enjoint) aux consuls de tenir un registre pour y transcrire toutes les délibérations dont les expéditions seront délivrées par le greffier consulaire."

On comprendra que la communauté de Donazac, à qui cette injonction s'adresse, ait recours aux ressources locales. Elle fait tout naturellement appel à "Mr Gazes, bourgeois d'Alaigne" et régent de son village. Même situation à Montgradail en 1740 où les conseillers doivent préciser: "Nous sommes marqués, ne sachant écrire et notre greffier d'office s'est signé à notre prière." En l'absence d'autre recours, le desservant est le seul écrivant de village à pouvoir assumer des fonctions indispensables. La formule habituelle est alors: "Ce sont signés ou marqués avec moy, curé, qui ayt écrit la présente délibération faute de greffier"

Les notaires ont joué, et jouent encore au milieu du siècle en ces pays pauvres, un rôle important. Eux-mêmes issus de ces maisons monopolisant l'écriture ils partagent avec les "bourgeois du lieu" rencontrés jusqu'ici bien des activités au service des communautés. Ils ont parfois fourni, eux aussi, les quelques régents recrutés dans le diocèse. Ainsi à Cailhau, entre 1704 et 1711, est-ce un notaire royal de Montréal qui cumule le notariat, la régence et le greffe. Devant les exigences croissantes de l'administration, les membres de la corporation se présentent en spécialistes de l'écrit public, proposant leurs services comme ce Jean Gallaup, notaire royal du lieu d'Escueillens, auditeur et greffier dans plusieurs communautés vers 1740.

"Il faut convenir que les auditeurs du compte ne sçavoit ce qu'il fasoit puis que la Recepte monte véritablement à... Toutes ces erreurs ne laissent pas que de donner de la confusion, faites moy la grâce de m'employer en tout ce que vous me jugerez vous être bon,"

écrit-il au syndic du diocèse. Notaires, praticiens, bourgeois, curés, les "écrivains" sont tous des médiateurs potentiels entre une administration qui exige de plus en plus de traces écrites et des communautés où les illettrés sont l'écrasante majorité.

Ces dernières ne sont cependant pas démunies de moyens de contrôle. Nous sommes en un temps où la vie municipale s'anime. Les luttes pour le pouvoir communautaire s'exacerbent dans la deuxième moitié du siècle. Affirmations municipales face à des prétentions seigneuriales déjà fort émoussées, montée d'un groupe, au contour diffus, de propriétaires villageois qui trouve à s'exprimer dans le cadre des conseils politiques: le monde rural languedocien est le théâtre d'une mutation profonde comme l'a montré Georges Fournier [13]. Dans ce contexte, les procès interminables jouent un rôle décisif. Ils mobilisent les communautés et surtout leur imposent un mode de relation avec l'extérieur exigeant un contrôle plus strict de l'écriture publique. Les villages peu lettrés entretiennent un procureur à Montpellier qui leur rend compte de leurs affaires. Ils députent des individus dûment contrôlés chargés de soutenir leurs querelles. Le monopole de l'écrit est entamé par une régulation en grande partie orale des fonctions de médiation. Les lettrés dépeints plus haut craignent avec raison cette émergence politique: "Les paysans Monsieur sont beaucoup plus fins que nous parce qu'ils n'ont pas tant de bonne foy, il n'est donc pas juste que nous soyons leur dupe", écrit le curé de Donazac au syndic du diocèse, lui demandant le secret sur ses affirmations "afin de (lui) épargner un procès avec des gens qui sont des habiles réthoriciens quand il faut prendre mais qui ne sont pas humanistes quand il faut payer."

Il faut donc prendre au sérieux ces suppliques d'habitants, propriétaires et artisans, observant que

"La plupart des habitants des communautés sont fort embarrassés de régir les charges publiques lorsqu'ils sont illitérés ce qui les fait tomber bien souvent dans des inconvénients fâcheux aujourd'hui même que les règlements s'exécutent à la lettre il est essentiel que la plupart des habitants sachent lire et écrire les uns pour être employés au consulat, les autres aux greffes, les autres à la collecte" [14].

La présence d'un régent-greffier, réclamée par les pétitionnaires, est la solution efficace à leur manque. En demandant l'école, ils savent pour l'avoir expérimentée qu'il peuvent obtenir à la fois celui qui assurera l'alphabétisation individuelle et l'écriture collective. Le désir d'acculturation à long terme est aussi, à court terme, assurance que le greffe, dans ses multiples aspects, sera assuré localement. On comprend du même coup pourquoi la volonté d'éducation d'un groupe à l'évidence restreint ne peut s'exprimer qu'à travers la revendication d'un pouvoir municipal où chacun trouverait à exercer ses nouveaux talents : consulat, greffe, collecte. Cette utopie démocratique est l'idéologie d'une politique de l'écrit qui passera désormais nécessairement par l'école.

Une exigence laïque

Dans quelle mesure cet "usage" de l'école, que nous avions déjà bien établi dans un diocèse plus "avancé", s'accommode-t-il du monopole de l'Église sur le contrôle de l'enseignement ? Deux définitions vont se heurter et le choix du régent est le moment privilégié où se manifeste leur concurrence. Absences fréquentes, mixité des élèves, manquements aux devoirs du chrétien sont les arguments invoqués contre un régent quand on veut le faire interdire par l'évêque. Mais l'opposition du curé est le plus souvent la raison principale. Le peu d'assiduité à enseigner le catéchisme est l'argument avancé par les consuls d'Argelliers par exemple, en 1759. Mais on apprend très vite qu'

"Il n'est pas au gré de la population et Mr Bonneau, curé, a surpris depuis long¬temps de même que pour la nommée Bisse, sa parente, des approbations de M. le vicaire général, sans qu'elle ait fait ni fasse actuellement aucune fonction de régente et exige l'imposition de 30 livres chaque année" [15].

Curieuses affaires où l'on affirme tout d'abord que le régent ne remplit pas ses devoirs d'auxiliaire du curé pour accuser aussitôt celui-ci de l'imposer à la population. De tels affrontements sont fréquents au cours du 18e siècle. Ils aboutissent parfois à la constitution de syndicats d'habitants soutenant chacun leur candidat à la régence. Il n'est pas rare que les "partis" en viennent aux mains. Les écoles sont alors supprimées par l'intendant jusqu'à ce que les esprits se calment, ou bien les syndiqués les plus actifs sont condamnés à de fortes amendes. Une telle violence, qui reste verbale dans la majorité des cas, n'est pas absolument nouvelle. Réparations au presbytère, paiement du desservant et du vicaire, nombre de messes et de processions, les occasions ne manquaient pas qui voyaient les communautés s'enfoncer dans d'interminables conflits. Mais le ton et les arguments changent et il n'est pas indifférent que l'école cristallise autour d'elle des oppositions latentes et que le choix du régent soit le moment privilégié où la société s'analyse dans le conflit.

Dans la lutte engagée pour la définition de la régence quand les petites écoles se répandent dans les campagnes, le curé est placé au premier rang, ce qui lui vaut d'être la cible des tenants d'une conception "municipale" plus laïque. Le prêtre propose sa propre définition du régent que résume parfaitement le curé de Fendeilhe en 1764:

"J'espère qu'il s'acquittera au plus grand bien des enfans assidu comme il est aux divers offices, il aura les yeux sur eux et les contiendra dans la modestie et le respect du à la maison de Dieu, je ne serai plus obligé de me tourner pour les faire taire. De bonnes vies et mœurs lui et toute sa famille, fréquentants les sacremens, sçachant sa religion, son exemple fortifiera les instructions qu'il leur donnera sur ce sujet qui est le principal. On n'a jamais contesté qu'il ne lut bien le français et le latin, on l'entend lire et chanter à l'église depuis longtemps et tous les étrangers sont satisfaits de son chant, il est pas de village où l'on chante mieux, son père principalement, qui professe le plein chant et les rubri¬ques, quand à l'écriture son caractère est passable et il se perfectionnera par l'exercice, sa main n'est pas ébranlée par la rudesse du travail, il est tailleur de son métier ; il y a longtemps que je le désirois pour maître d'école" [16].

Les consuls, ou les "principaux habitants" qui s'engagent dans la querelle ne nient pas la nécessité de seconder le desservant, mais il s'agit pour eux d'une contrainte coutumière qui va de soi. La définition de l'école et le choix du régent mettent en jeu cette notion d'intérêt général de la communauté que nous avons vu défendre à maintes reprises. Le curé entend lui aussi agir en ce sens, mais à partir de sa propre définition. A ceux qui lui reprochent de poursuivre son intérêt de desservant, perçu désormais comme un intérêt particulier parmi d'autres, il retourne l'argument en fustigeant "ces quelques conseillers qui jaloux de son bien être (celui que la régence procurera au tailleur) vouloient le changer afin d'enrichir un autre habitant qui les a touché de compassion. Ces conseillers charitables pour le particulier sans faire attention au bien public des enfans." Même disqualification des "laïques" à Laurabuc, en 1764 :

"Si trois particuliers se sont opposés à sa nomination ce n'est qu'une cabale qu'on a formée contre le curé. Tous auroient signé s'ils n'étoient très proches parents du sieur Miquel. Le sieur Bosc veut donner cent livres pour un autre régent et le sieur Pradines sa table."

De part et d'autre on situe parenté et clientèle du côté de l'adversaire, désintéressement et souci du bien public dans son propre camp. Dans le règlement des affaires publiques, le curé, qui siège de droit dans les assemblées, est de plus en plus souvent renvoyé aux affaires de son église. Il lui est fait reproche de négliger sa mission propre "au préjudice de toute la communauté".

La sacralité de la fonction sacerdotale est elle-même maltraitée au cours de ces conflits incessants. Celui qui agite Fitou, village du littoral, en 1784, acquiert une-dimension symbolique remarquable. Un nommé Fabre "que les consuls et une partie des habitants voudroient pour maître d'école" a sollicité du curé un certificat de bonnes vie et mœurs, formalité indispensable. Le curé, qui le considère comme un très mauvais sujet lié aux jeunes hommes les plus turbulents de la paroisse, le lui refuse. Les vicaires généraux ne peuvent donc l'approuver. Pressé par le candidat menaçant, le desservant commet alors l'erreur qui va déclencher une suite de "désordres graves". Il rédige un certificat, mais dans la langue de l'Église, ce latin que nul n'entend à Fitou hormis le curé. La supercherie est découverte quand les vicaires généraux opposent un nouveau refus à celui qui croyait apporter un avis favorable. Le régent en réfère aux consuls. Vexés de cette manœuvre qui bafoue leur autorité, ils entreprennent de se venger. Plus de chanteurs à l'église, coups de pistolets devant la porte pendant les offices. Aux plaintes répétées du curé les consuls rétorquent qu'ils ne peuvent agir contre les organisateurs du chahut. De fait, leurs enfants et leurs domestiques se montrent les plus acharnés d'entre eux. La contestation entre enfin dans l'église et les opposants y manifestent à visage découvert :

"Le jour de Saint-Pierre, Mr le Curé allant faire la procession qu'il est d'usage de faire avant la messe, et étant au pied de l'autel, entonna l'himne des apôtres, personne ne répondit, il se fit un murmure dans l'église, le curé se tourna et vit le second consul et ledit Fabre qui rioient de son embarras. Mr le Curé fut obligé de dire une messe basse, ceux qui ont fait le complot de ne point chanter, empêchoient de chanter ceux qui en avoient envie en leur disant, il faut laisser égoziller Mr le Curé, puisqu'il a donné au maître d'école un certificat en latin contre lui" [17].

Les consuls, le régent et leurs partisans vont "remercier" le prêtre dans sa maison pour son certificat. Ils l'insultent devant son refus d'en rédiger un nouveau. Attitude nouvelle, le curé est accusé de trahir le secret de la confession en faisant état des mœurs du candidat, ce qui est pourtant la raison d'être de ce document. Des "paroles sales" sont prononcées pour condamner cette indiscrétion. La petite troupe traverse ensuite le village en proclamant :

"Nous venons de ranger Monsieur le Curé. On a cru jusqu'ici que les gens de Fitou n'avoient que de langue, nous prouverons à l'avenir qu'ils ont des faits!" La réaction la plus surprenante à l'annonce de ces désordres est peut-être celle de l'intendant. Il ordonne à son subdélégué de "vérifier seulement les faits relatifs au port d'armes, au scandale causé dans l'église pendant l'office divin et aux insultes faites publiquement à ce curé". En aucun cas il ne doit se mêler de l'affaire scolaire elle-même. Elle est du ressort exclusif de l'archevêque de Narbonne. Dans un conflit semblable, à Escouloubre en 1743, même attitude: "C'est une entreprise sur la juridiction de leur évêque qui a seul inspection dans son diocèze sur les régens" [18]. L'intendant refuse systématiquement d'intervenir sauf pour autoriser une imposition scolaire ou sanctionner le trouble de l'ordre public. Encore ordonne-t-il, dans le premier cas, que l'autorité épiscopale soit la seule reconnue. L'administration provinciale ne se désintéresse pas du problème de l'école, du moins pas toujours, mais elle entend exercer une tutelle et non administrer directement en ce domaine. Les procureurs des communautés le savent bien et conseillent sans cesse à leurs mandants, depuis Montpellier, d'agir auprès des vicaires généraux en premier lieu quand il s'agit des régents. L'évêque de Saint-Papoul, par exemple, suit personnellement la situation dans son diocèse [19]. En devenant l'interlocuteur privilégié des communautés il accentue parfois l'effet laïcisant du débat scolaire. Les opposants au curé tournent en effet la situation à leur profit en négociant directement avec l'administration épiscopale qui fait ainsi figure d'administration scolaire. Ils marginalisent par la même occasion le rôle des desservants. Ces derniers, dépassés par l'habileté politique de nouveaux notables villageois qui obtiennent souvent gain de cause contre eux, se prennent à regretter un temps où les consuls ne leur disputaient pas le pouvoir ni sur les mœurs ni sur l'éducation: "Je me flatte qu'à l'avenir Votre Grandeur ne me condamnera pas sur le rapport de quelques paisans asservis à la volonté de mon antagoniste" s'exclame avec amertume un curé réprimandé par son évêque à la suite de la visite d'une délégation d'habitants.

Faire un régent

Ainsi l'école s'installe au village. Elle n'est pas une annexe du presbytère où exercerait un simple auxiliaire du curé. Elle n'est pas non plus ce corps étranger que décrit une vision simpliste du "choc des cultures". Elle va certes imposer son temps, ses lieux, puis sa langue et un nouveau partage des savoirs. Mais cette spécificité qui deviendra essentielle s'articule sur un dispositif qui est produit par une demande autochtone. Dans un premier temps, la communauté met en œuvre collectivement des savoirs individuels que cette demande détermine. La nécessité de l'écrit, de la comptabilité publique exige le recours à des écrivains. Il est, on l'a vu, des situations où des bourgeois et des notaires se chargent de ces tâches. Elles peuvent d'ailleurs coexister avec une alphabétisation qui n'a rien à voir avec l'école. Une élite très restreinte a toujours eu recours à une formation à l'écriture dans les pays sans école. Prêtres et bourgeois-propriétaires ont su de tout temps initier leurs "neveux" aux rudiments.

Plus généralement il est fait appel à des compétences strictement définies et non à des membres d'un corps constitué ou en voie de constitution. Si des étudiants, ecclésiastiques ou non, interviennent, c'est en vertu d'une compétence dans les "lettres" plus élevée que les ressources locales. Mais on notera qu'ils ne font que passer dans leur poste. Leurs qualités potentielles d'enseignants ne suffisent pas et l'on attend d'eux autre chose. A cette autre exigence, des autochtones répondent plus sûrement. Leur personnalité et leur statut social méritent l'attention.

Nous avons déjà noté l'appartenance de certains d'entre eux aux "bonnes maisons" des communautés petites et moyennes. Le témoignage tardif d'un prêtre du Lauragais apporte de précieuses indications sur ces maîtres

"…appartenant à ces familles des plus notables du lieu mais cadets de famille ce qui annonce la modicité de leur patrimoine, et c'est ce qui les a fait recourir à la faible ressource d'instituteur, soit à raison de leur tempérament délicat qui ne leur permet pas de vaquer au travail de l'agriculture. Ils s'acquittent de cette fonction avec exactitude, zèle et émulation à qui mieux, ce qui fait que leurs dicibles (sic) font des progrès admirables tant pour la lecture que pour la plume" [20].

Dotés de l'instruction que leur garantit leur origine mais privés des ressources réservées à leurs aînés, la généralisation de l'école leur fournit sur place un revenu complémentaire et le moyen de valoriser leur savoir. Les implications d'une telle opportunité seront très importantes au 19e siècle.

Les "premiers métiers" de la plupart des autres régents ne sont pas non plus indifférents. Est-ce un hasard si les arpenteurs, par exemple, sont si fort appréciés ? En ce pays où les impôts sont assis sur les biens réels, leur compétence est précieuse. D'elle dépend tout d'abord la qualité et la justesse des compoix :

"(Ils) prêtaient serment devant le sénéchal de Carcassonne ou du Lauragais; ils prêtaient aussi serment devant les cours royales ou les châtellenies dans la juridiction desquelles ils avaient fixé leur résidence. On leur confiait le soin de déterminer et d'établir les compoix terriers ou cadastres qui permettaient d'établir équitablement les impositions réelles. On leur confiait aussi le soin de déterminer les dimensions des parcelles que tenaient les agriculteurs d'une communauté" [21].

Il est aisé de concevoir l'importance du contrôle de ces spécialistes, convoqués à l'initiative des magistrats consulaires, mais opérant en présence des représentants des seigneurs fonciers, rémunérés par les communautés, mais soumis à l'autorisation de la Cour des Aides de Montpellier. Avant même qu'ils n'exercent le greffe et la régence, leur activité principale se trouvait au centre de la mise en œuvre collective d'un savoir individuel spécialisé. Quand la critique de l'imposition et la contestation des bases sur lesquelles elle est établie sont à l'ordre du jour, les arpenteurs sont au cœur des conflits occasionnés par la révision du compoix. Praticiens mais aussi "arithméticiens", bons écrivains engagés dans la préparation et l'exécution de la comptabilité et des écritures publiques, les arpenteurs semblent tout désignés pour tenir le rôle de régents-greffiers efficaces.

En va-t-il de même pour les tailleurs souvent appelés à régir les écoles dans les petites communautés ? Rien ne les destine plus particulièrement à un tel emploi car rien ne semble les distinguer des autres artisans alphabétisés. Un ensemble de traits les rapproche pourtant de la régence. Tout d'abord un engagement remarqué dans certaines manifestations publiques de la religion. Des familles de tailleurs sont aussi familles de chantres. Le curé de Fendeilhe, cité plus haut, appréciait d'abord chez son propre candidat à la régence l'appartenance à l'une de ces familles. La fréquentation assidue du prêtre et de son vicaire lui ont en outre permis d'acquérir une bonne connaissance du français et même du latin. Ces savoirs sont proposés avec éclat à l'admiration du voisinage lors des offices dominicaux. Le prêtre garantit aussi sa capacité à contenir les enfants dans l'église. Ce n'est pas là un exemple isolé. Hors de notre domaine, le rôle des tailleurs est signalé dans certaines régions de Bretagne où ils enseignent le catéchisme. Une estampe nous montre l'un d'eux dans l'attitude du régent de campagne, baguette levée face à un groupe d'enfants [22].

Ailleurs, en Béarn, les tailleurs d'habits entretiennent un rapport particulier à l'écriture comme en témoignent les belles pages que l'écrivain Simin Palay (né en 1874) consacre à ses ancêtres tailleurs, poètes et chansonniers. Le destin du grand-père est scellé par un événement fortuit :

"Maman m'avait raconté qu'une fois où il jouait à sauter avec des camarades, il était mal tombé et s'était cassé une épaule. Pour sûr, ce n'était pas un chirurgien (suryen) qui la lui avait remise mais quelque rebouteux (pregandayre). Le travail avait été mal fait et le pauvret était resté fort bossu. Ainsi fait, il ne pouvait être ni maçon, ni charpentier et ses parents lui avaient fait apprendre le métier de tailleur et de couturier, car en ce temps-là c'étaient les hommes qui cousaient les vêtements et les trousseaux des femmes, travaillant à la journée chez ceux qui en avaient besoin" [23].

Une lignée d'hommes forts, des travailleurs du bâtiment, laisse désormais la place à une lignée de tailleurs aux tâches moins viriles. L'aïeul diminué a pris sa revanche par le travail et l'épargne qui lui permettent bientôt de devenir un "maître" respecté et indépendant, mais aussi par l'exercice d'une passion acquise dès le jeune âge en compensation des exploits physiques devenus impossibles :

"Grand-père, intelligent et plein d'esprit, avait su profiter de ses années d'écoles, il prononçait le français comme un régent (coum û reyent) et tirait une fort belle écriture de sa plume d'oie. Plus encore : il s'était découvert poète et rimait aussi bien en béarnais qu'en français. J'ai toujours gardé à la mémoire le souvenir d'une pièce de théâtre qui m'avait paru bien troussée" [24].

On notera les attitudes que le futur tailleur emprunte au régent comme Palay le fait lui-même remarquer. Les signes d'une parenté sont multiples : enseignement du catéchisme et autres fonctions dans l'église, réceptivité à la culture scolaire, pratique individuelle du chant ou de l'écriture. Est présente aussi symboliquement, dans l'exemple des Palay, cette infirmité qui sera bien souvent "la marque du régent" au début du 19e siècle quand, la demande augmentant, les cadets estropiés ou chétifs seront encouragés à exercer une fonction qui n'exige pas de force physique. Cette perte de virilité illustre l'ambiguïté du statut du tailleur. L'abbé de Sauvages signale l'évolution de la profession au 18e siècle :

"Sartre v.l. Tailleur; et aujourd'hui tailleur de campagne qui va travailler chez les particuliers. Courdurier ou Sartre. Tailleur d'habits ambulant, tailleur de campagne" [25].

Une double interrogation demeure cependant : l'exécution de tâches "fémi¬nines" fait suspecter le tailleur de féminité, alors que la proximité constante des femmes le fait suspecter d'impudicité masculine. Mais au-delà de tout soupçon, au cœur de la dualité qui le nourrit, l'émergence du personnage est riche de significations. Le tailleur a un contact privilégié avec les femmes et les enfants dans les maisons où il s'installe pour un temps. Ce mode d'exercice de sa profession lui permet de jouer le rôle de colporteur de nouvelles. Il est très souvent un conteur s'adressant à un auditoire où les enfants tiennent une grande place. Parfois écrivain, il est qualifié aussi par la transmission orale d'un savoir traditionnel. Tous ces traits composent un personnage complexe maîtrisant à la fois l'oralité et l'écriture, pénétrant les espaces domestiques et les lieux publics, entretenant des rapports multiples, religieux et profanes, avec les enfants.

Les arpenteurs se situent plutôt du côté du greffe, les tailleurs plutôt du côté de la régence. Quant aux maîtres chirurgiens, entre les artisans et les bourgeois de village, l'école leur ouvre, comme aux autres positions sociales incertaines ou en ascension, un nouvel espace où s'affirmer au plus près du pouvoir communautaire mais dans l'une de ses zones d'ouverture vers l'extérieur. Ils entretiennent, eux aussi, de par leurs fonctions un ensemble de relations, à la fois publiques et privées, avec la population.

L'école, dont nous avons vu qu'elle ne répondait pas au seul besoin d'alphabétisation des individus, est donc confiée à des personnages qui sont déjà en situation d'intermédiaires dans les communautés. L'institution ne conquiert pas un terrain vierge, elle s'immisce dans un ensemble de rapports déjà constitués. Elle y conquerra sa spécificité mais sans se présenter comme une alternative radicalement étrangère.

Le paysage scolaire ne se réduit pas aux communautés, les plus nombreuses il est vrai, qui accueillent un régent pour la première fois au 18e siècle. Il existe une hiérarchie des écoles qui est aussi hiérarchie des maîtres. Au sommet les gros villages scolarisés depuis le 16e siècle ou le 17e siècle recrutent les régents aux savoirs étendus qui devaient autrefois s'affronter lors de disputes publiques [26]. On peut emprunter à une région languedocienne voisine le portrait de deux de ces maîtres. En 1743, voici :

"Mr Tonnelle, homme quoique nêtant qu'un Pigmée de la grosseur et gran¬deur d'un Nain d'Esclavonie. Il ne reste pas cependant d'être doué d'une grande probité et reconnu d'un chacun pour tel. Voici les Progrès qu'il a fait avec toute la distinction possible. Il a occupé le secrétariat du château d'Aubais avec estime, secondement la maîtrise et Régence des abécédaires au lieu d'Aubais, secondement Ludi Magister du lieu d'Ayguevives, troysièmement il a écrit pour les Jeux Floraux de Toulouse un Poème Epique, très estimé dans l'esprit des habitants de ces deux lieux, quatrièmement moyennant la somme de 30 L et 3 voyages faits à Montpellier il a acheté le Bureau Topographique avec lequel il va rester incessamment à Nismes pour l'y professer, cinquièmement, il a fait un maîtresse audit Aubais."

Il est remplacé par un spécialiste tout aussi distingué: "Mr Touache est arrivé ce même jour avec son épouse et sa famille à Aubais pour y régenter les écoles publiques de ce lieu. La voix publique annonce par avance de toutes parts qu'il est très versé dans cette profession". On apprend vite, en effet, "qu'il était très savant, possédant pour le moins aussi bien le latin que Cicéron. Il avait encore tant d'autres riches talents. Son écriture surpassait celle faite au burin. L'algèbre, l'arithmétique. C'était, après, un chantre qui par sa voix fai¬sait tous les jours retentir nos églises. L'on peut dire homme de bonnes mœurs, bonne conversation, sobre, gracieux et bienfaisant" [27].

Nous apercevons des maîtres de cette étoffe à Bize, Cuxac, Fleury ou Fabrezan. Nous avons vu les villages voisins profiter de leur passage vers une bonne place, car ils échappent rarement à une mobilité qui reste le lot de presque tous.

Au niveau immédiatement inférieur se situent ces villages où une élite lettrée trop restreinte veut prétendre à un enseignement préparatoire à de plus longues études pour ses enfants alors que la majorité se contente de régents du type de ceux que nous avons décrits. "Régent de grammaire", substitut des petites classes du collège urbain, ou régent ordinaire pour un plus grand nombre, tel est le dilemme qui se pose à la communauté de Labastide d'Anjou en Lauragais en 1770. Les consuls et le curé ont choisi d'un commun accord de présenter un nouveau régent à l'approbation de l'évêque de Saint-Papoul. Mais il n'est pas au gré d'un noble, de quelques bourgeois et gros tenanciers qui refusent

"…un sujet pour les écoles de cette communauté impropre pour le besoin quelle en a tant pour la latinité que pour montrer à lire, mais encore pour le catéchisme. Son talen propre est celuy de fournir à son état de tailleur de campagne." Or les signataires ont toujours recherché "des régents capables de donner à leurs écoliers les premiers principes de la gram¬maire ce qui a produit un nombre de sujets tant du côté de l'Église que pour autre état des belles lettres qui sans ce secours auroient réellement manqué par un deffaut (de zèle?) dans leurs familles à ne pouvoir pas fournir aux pensions coûteuses où l'on est exposé vis à vis de ses enfants quand il faut les tenir dans les villes" [28].

Nous retrouvons enfin les modestes communautés, les plus nombreuses, où, en dehors des clercs de passage, les hommes de métier se transforment en régents. La plupart doivent seulement développer les qualités d'écrivains exigées par leur premier métier. Dans le cas contraire un vieux lettré ou un ecclésiastique peut se charger de préparer à sa tâche le futur candidat. Le curé de Fendeilhe ramène la paix scolaire dans son village en s'attachant au jeune homme préféré par ses opposants :

"II pourroit se rendre capable s'il continue comme il fait depuis peu de s'appliquer à apprendre à lire et à écrire, car il lisoit et peignoit très mal. Si d'ici à l'an prochain (il) se rend plus capable qu'il n'est actuellement je ne m'opposeray pas à sa nomination. Il faut qu'il prenne plus longtemps des leçons pour la lecture et pour l'écriture, Mr Canut (vicaire) a cette bonté pour lui et je lui ay promis de lui acheter un de ces beaux exemplaires au burin pour lui former un caractère car il n'en a point ni ne sçait ortografier."

Une fois formé il trouvera une place dans une autre communauté, fort heureusement pour le curé qui pourra ainsi garder longtemps son propre maître d'école. Son métier de tailleur ne doit pas l'empêcher de

"…montrer à lire, écrire et conter et ne pourra subrégir aucune autre personne à son lieu et place sinon en cas de maladie et ne pourra non plus socuper de son métier pendant le tems des écoles qui ne pourra être moindre que de deux heures par séance. Le Conseil lui a signifié l'heure des Ecoles sçavoir l'école du matin sera sonnée à 8 h en tems diver et quant nous aurons ataint a la paque a 6 h et toujours à une heure après midy" [29].

Au sein d'une telle diversité, et malgré la liaison profonde de la régence et du greffe, le régent peut-il présenter au 18e siècle une image sociale unique? Les signes existent d'une autonomisation et d'une unité de la figure du maître d'école. Le titre de "régent des écoles" est de plus en plus fréquemment attaché à l'individu qui l'a porté, même quand il n'exerce plus. Cependant cette image est contradictoire. On dira de tel propriétaire qu'il n'est pas aussi aisé qu'il le prétend, ayant été obligé pour survivre "de se faire régent" ! Mais, inversement, un amant promettra à la veuve d'un maître d'école d'embrasser lui aussi cette profession pour mériter sa considération. Des régents voleurs, assassins ou assassinés, on mentionne la qualité sans qu'elle introduise dans les témoignages une quelconque émotion. Plus étonnant : une plaidoirie imprimée contre un régent séducteur refusant de reconnaître le fruit de ses œuvres pérore à l'envi sur la Virginité, la Pureté, l'image de la Mère, sans jamais se référer aux obligations morales spécifiques d'un pédagogue [30].

Au terme de cette brève enquête, rien n'est apparu qui doive bouleverser notre connaissance, de mieux en mieux assurée, des petites écoles de l'Ancien Régime. Mais elle permet sans doute de se garder d'un effet pervers du déplacement d'une histoire de l'école vers l'analyse du processus d'alphabétisation. A trop insister sur la diversité des situations d'enseignement on peut être tenté, par un juste refus du finalisme et de l'anachronisme, de négliger ce qui, en plein 18e siècle, annonce un état ultérieur des rapports entre l'école, la société locale et l'environnement national. Comment ne pas voir en effet que l'émergence du local, la grande affaire du 19e siècle en contrepoint de l'intégration nationale des communautés, s'appuie sur des usages de l'écrit, publics et privés, qui nécessitent la mise en place d'un dispositif dont l'école va peu à peu occuper le centre. Ces "paysans entre l'oral et l'écrit" qui feront flèche de tout bois pour accéder à l'alphabétisation quand la nécessité sociale s'en fera sentir, n'en recevront pas "de surcroît" les valeurs véhiculées par l'école républicaine. S'ils s'approprient aussi aisément ces valeurs, c'est que l'école a tissé depuis longtemps avec son environnement un ensemble de liens solides et essentiels, en particulier à travers le personnage du régent, puis de l'instituteur.

Ce dernier ne sera d'ailleurs pas un "hussard" à la pointe du combat d'un corps de fonctionnaires, ni seulement cet intellectuel de village à la proximité distante, chassant tel jour le "patois" de son école et publiant le lendemain des poèmes "dans la langue du peuple". Certes l'école primaire ne recrute plus son personnel parmi les tailleurs d'habits, les arpenteurs ou les maîtres chirurgiens, figures aux connexions multiples avec leur communauté. Mais si l'on transpose l'analyse vers une étude minutieuse de la manière dont l'école primaire établit son calendrier, dont elle s'approprie et transforme à son usage bien des temps forts de la vie sociale, dont elle produit enfin son propre coutumier et le propose en retour à la société et aux groupes scolarisés, si l'on s'intéresse enfin à l'omniprésence du recours à l'écriture dans les pratiques quotidiennes et les rituels de la vie sociale, la possibilité d'une autre approche de l'institution dans la longue durée se dessine" [31].


ANNEXE
Une alphabétisation sélective


Si notre objet s'est déplacé de l'alphabétisation individuelle à la maîtrise sociale de l'écriture, les deux domaines sont nécessairement liés, là où doit être interrogé le rôle de l'école. Au terme d'une investigation qui s'est efforcée de rassembler les éléments d'un dispositif complexe, la mesure du premier terme, l'alphabétisation individuelle, confirme la cohérence de l'analyse. Quelle que soit l'imprécision de l'indicateur "signature au mariage", il suffit à signaler un contact avec un enseignement élémentaire, quelle qu'en soit la forme, et des rudiments de lecture, sinon d'écriture.

Mesurée quelques années avant la Révolution, cette alphabétisation est nettement avancée dans les pays aux écoles nombreuses. Le Narbonnais, où presque toutes les communautés en sont pourvues, se situe largement en tête devant le Lauragais où l'implantation est plus aléatoire :

Rien ne distingue, en revanche, en ce qui concerne l'alphabétisation, le Razès (diocèse civil de Limoux), pays soumis au monopole de quelques régents issus des familles dominantes des Hautes Corbières, pays sans écoles. Dans l'un et l'autre cas l'enseignement est réservé à une frange très minoritaire de la société villageoise. La présence d'un régent officiellement reconnu semble ne rien changer à la situation d'enseignement: elle ne fait qu'entériner officiellement (Razès) ce qui ailleurs (Hautes Corbières) reste du domaine privé. La preuve en est que le village au score le plus élevé parmi les communautés du Razès est privé d'école, mais le vicaire y instruit traditionnellement les enfants des "plus notables habitants" et en fait profiter quelques autres. La minorité pour qui un minimum de culture lettrée est indispensable trouve toujours les moyens, il faut le répéter, de répondre à sa demande. Cette situation semble avoir peu varié en l'espace d'une génération alors qu'une progression sensible s'est manifestée en pays d'écoles. Il suffit pour s'en convaincre de produire les résultats d'un sondage antérieur :

La mauvaise tenue des registres a rendu impossible une évaluation pour les Hautes Corbières et difficile l'enquête sur le Razès. (Sources : registres paroissiaux.)

Qui est concerné par l'école dans les pays où elle s'implante massivement ? Presque exclusivement les garçons. En dehors des filles de nobles et de bourgeois qui fréquentent plutôt un établissement urbain, l'analphabétisme féminin est la règle. Nouvelle preuve, s'il en était besoin, qu'en cette région du Languedoc la maîtrise de l'écriture ne concerne encore que les personnes susceptibles de l'exercer dans la société: les hommes, et parmi eux les individus socialement indépendants. En Lauragais comme en Narbonnais, artisans et ménagers sont les seuls à disputer vraiment aux bourgeois de village un accès à la lecture-écriture. Bergers et brassiers du Narbonnais en sont exclus comme les maîtres-valets du Lauragais, en situation de totale dépendance. Si brassiers et tisserands ont quelques prétentions dans ce dernier pays, c'est que le statut de certains d'entre eux les rapproche des petits propriétaires et des artisans boutiquiers.

NOTES



[1].M. Laget, "Petites écoles en Languedoc au 18e siècle", Annales ESC, 6, 1971, pp. 1398-1418. D. Julia avait étudié quelque temps auparavant "L'enseignement primaire dans le diocèse de Reims à la fin de l'Ancien Régime", Annales historiques de la Révolution française, avril-juin 1970. Le Languedoc sera à nouveau étudié par M.-M. compère, "École et alphabétisation en Languedoc aux 17e et 18e siècles", dans F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire. L'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry , Paris, Éditions de Minuit, "Le sens commun", 1977, t. II, pp. 43-99.
[2].M.Laget, "Petites écoles", art. cité, p. 1 404.
[3].F.Furet et J.Ozouf, Lire et écrire, op. cit., t. I, chap. 2.
[4].Idem, p. 81.
[5].R.Chartier, M.-M.Compère et D.Julia, L'éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1976, p. 34.
[6].J.Tissier, "Notes pour servir à l'histoire de l'instruction primaire dans le diocèse de Narbonne avant 1789", Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne, t. IV, 1896, pp. 285-345. Les liasses des comptes des communautés dépouillées par cet archiviste ont disparu à l'occasion d'un "nettoyage" des caves des archives de l'Aude. A partir du relevé des noms des régents et de leur temps d'exercice dans chaque communauté, nous avons établi par recoupements successifs une fiche par régent qui nous donne une image relativement fiable de sa "carrière" confrontée, quand cela a été possible, à d'autres sources, en particulier aux délibérations des conseils des communautés. Les rares régentes sont ici volontairement oubliées, l'enseignement des filles relevant d'une tout autre logique que nous analyserons ailleurs.
[7].J.Tissier, "Notes...", art. cité, pp. 290-291.
[8].En toute rigueur il faut tenir compte, non seulement des lacunes de la documentation, mais aussi des possibles sorties du diocèse. Les premières sont contrôlables en raison même du choix d'une région où, l'école étant devenue familière, l'absence d'un régent est explicitée par les documents "qualitatifs". Les secondes semblent avoir été peu nombreuses en raison sans doute de ce que l'on pourrait appeler un "effet de réputation" payant seulement dans un domaine étroitement défini, plus sûrement en fonction des éléments qui seront développés ci-dessous.
[9].Sauf indications contraires, les exemples cités le sont d'après les registres des délibérations des communautés conservées aux archives de l'Aude.
[10].L. B.Marty-Seguy, L'école à Labécède-Lauragais à travers l'histoire locale. De 1630 à nos jours, manuscrit, 1931, A. D. Aude, 2 J 34.
[11].Nous utilisons ici les originaux des liasses des comptes des communautés du diocèse civil de Limoux conservés aux archives de l'Aude, série C.
[12].D'après les registres des délibérations des communautés concernées.
[13].G.Fournier, Des conseils politiques aux conseils municipaux dans le diocèse civil de Carcassonne, 1790-1791, Thèse de 3e cycle, Université de Toulouse-le-Mirail, 1974, 2 t. dactyl. Voir aussi, sur l'importance du rôle des greffiers en pays occitanophone, G.Fournier, "La langue des assemblées locales en Languedoc pendant la Révolution", La question linguistique au sud au moment de la Révolution française, numéro spécial de la revue Lengas, Montpellier, 1985,
pp. 157-177.
[14].Supplique des habitants de Laforce aux commissaires des États généraux de Languedoc en 1745, A. D. Aude G 204.
[15].Cité par J.Tessier, "Notes", art. cité., p. 292.
[16].Correspondance des curés du diocèse de Saint-Papoul. A. D. Aude, Fendeilhe G 270, Laurabuc G 272.
[17].Les pièces de ce dossier sont conservées aux archives de l'intendance du Languedoc, A. D. Hérault C 6806, C 6807.
[18].A. D. Hérault C 6755.
[19].Comme en témoigne la correspondance suivie qu'il entretient avec les desservants, A. D. Aude série G.
[20].Lettre du curé de Laurabuc à son évêque en 1809. A. D. Aude 2 J 1.
[21].P.Cayla, Dictionnaire des institutions, des coutumes et de la langue en usage dans quelques pays de Languedoc de 1595 à 1648, Montpellier, 1974.
[22].P.Sebillot, Légendes et curiosités des métiers, Paris, Flammarion, 1894-1895, réimpression, Marseille, Jeanne Laffitte, 1981. p. 221 (gravure extraite du Breiz Izel de Perrin).
[23].S.Palay, Tros causits de prose e de poésie (morceaux choisis), Billère, Éditions de l'Escole Gastou Febus, 1974, p. 16.
[24].Idem, p. 17.
[25].Abbé de Sauvages, Dictionnaire languedocien-français, nouvelle édition, Nîmes, 1785, t. I.
[26].Abbé Raynaud, "Rapports sur l'instruction primaire avant 1789 dans quelques communes rurales de l'Aude", Congrès provincial de la société bibliographique et des publications
populaires
, Montpellier, 1895, pp. 291-298.
[27].P.Prion, La Chronologiette, copie non foliotée du manuscrit, collection particulière. Sur le personnage de P. Prion, "copiste" lui-même, voir E. Le Roy ladurie et O.Ranum éds,
Pierre Prion, scribe, Paris, Gallimard-Julliard, "Archives", 1985.
[28].A. D. Aude G 271.
[29].A. D. Aude G 270.
[30].Nous avons "sondé" cette image du régent à travers une trentaine d'affaires judiciaires où ce personnage apparaît comme protagoniste ou comme témoin au cours du xvrae siècle. A. D. Aude série B.
[31].La présente enquête s'intègre dans une recherche plus vaste, soutenue par la Mission du Patrimoine ethnologique du ministère de la Culture. Voir D.Blanc, "L'école, les rituels et la
lettre", Ethnologie française, 1986-4, pp. 407-412, et "Numéros d'hommes. Rituels d'entrée à l'Ecole Normale d'instituteurs", Terrain, carnets du patrimoine ethnologique, n° 8, 1987, pp. 52-62.









 


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